Restauration : les leviers juridiques face à l’inflation 

L’inflation provoquée par le conflit entre la Russie et l’Ukraine a eu une incidence considérable sur le pouvoir d’achat des consommateurs. Le secteur de l’hôtellerie-restauration, qui reprend à peine son souffle depuis la crise sanitaire, subit une très forte hausse des prix, avec, selon l’institut d’étude Food Vision, 13,9% de hausse sur les tarifs généraux des distributeurs (contre 4,4% à la même période en 2021).  

Afin d’éviter ou du moins de limiter la répercussion de cette hausse des prix sur la note des clients, les professionnels de la restauration peuvent utiliser plusieurs leviers juridiques : 

  • Solliciter des délais de paiement avec leurs fournisseurs ; 
  • Demander la renonciation aux sanctions contractuelles prévues dans les contrats fournisseurs ; 
  • Entrer en discussion avec leur bailleur, un de leurs principaux fournisseurs ; 
  • Renégocier les contrats car votre situation a changé. 

Des précautions existent pour l’avenir. 

Solliciter des délais de paiement

L’article L. 441-10 du Code de commerce dispose que : 

  • sauf accord entre les parties, le délai de règlement est fixé à 30 jours à compter de la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation ; 
  • le délai convenu entre les parties ne peut dépasser 60 jours à compter de la date d’émission de la facture ; 
  • par dérogation, un délai maximal de 45 jours fin de mois à compter de la date d’émission de la facture peut être convenu par contrat entre les parties ; 
  • en cas de facture périodique, le délai convenu ne peut dépasser 45 jours à compter de la date d’émission de la facture.   

Selon les contrats conclus avec les fournisseurs, il peut être utile de solliciter une modification contractuelle des délais de paiement accordés.  

L’enjeu est d’allonger le délai entre encaissements et décaissements. La restauration se fonde sur une chaîne de valeur dans laquelle les fournisseurs sont payés d’abord pour la plupart (matières premières) et les clients paient leur note immédiatement après avoir consommé. 

Le plus simple, pour demeurer un partenaire de bonne foi, est de proposer un allognement des délais de paiement avec ses fournisseurs, ou mieux, de demander la constitution d’un compte fournisseur pour reporter les échéances de paiement et permettre une rentrée de trésorerie. 

Demander de renoncer aux sanctions contractuelles

Une autre option consiste à solliciter une renonciation aux sanctions contractuelles telles que des pénalités de retard de paiement par exemple.  

En effet, comme dans tous les contrats, les contrats conclus avec les fournisseurs peuvent prévoir que l’inexécution d’une obligation contractuelle dans le délai prévu entraîne une pénalité destinée à couvrir de manière forfaitaire le préjudice subi par l’autre partie.  

L’article L.441-10 précité dispose également que « les pénalités de retard sont exigibles sans qu’un rappel soit nécessaire. Tout professionnel en situation de retard de paiement est de plein-droit débiteur, à l’égard du créancier, d’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dont le montant est fixé par décret. ». Elle est de 40 euros en 2022. 

La Commission d’examen des pratiques commerciales ou CEPC a eu l’occasion de préciser dans un avis en date du 12 mai 2010, n°10-08, que le terme « exigible » ne signifie pas que le créancier a l’obligation de les réclamer, il a simplement la possibilité de les réclamer.  

Une des clauses permettant de renégocier plus généralement le contrat est la clause d’imprévision.  

Renégocier mes contrats car mon équilibre économique est modifié

L’article 1195 du Code civil dispose : 

« Si un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exercer ses obligations durant la renégociation.  

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin à la date et aux conditions qu’il fixe ».  

Attention, toutefois, cet article n’est pas applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016. 

Pour les contrats conclus postérieurement à cette date, trois conditions sont nécessaires pour permettre à une partie d’agir sur le fondement de l’article 1195 précité : 

  • La première tient au caractère supplétif de l’imprévision : la partie qui l’invoque ne doit pas avoir accepté d’en assumer le risque ; 
  • La seconde condition tient au caractère imprévisible du changement de circonstances ;  
  • La troisième tient au caractère excessivement onéreux du changement.  

Cette troisième condition permet de distinguer l’imprévision de la force majeure. Dans les deux cas, la perturbation affectant le contrat provient d’un changement de circonstances postérieur à sa conclusion, lequel était imprévisible au moment de la conclusion du contrat. Toutefois, la force majeure suppose que les circonstances rendent impossible l’exécution du contrat, pas seulement plus difficile.  

Dès lors, concrètement, pour les contrats conclus après le 1er octobre 2016, si une clause d’imprévision y figure, il convient de la faire jouer si les conditions précitées sont remplies.  

En l’espèce, à moins que les contrats aient été conclus après la guerre en Ukraine ou récemment dans le contexte inflationniste, il s’agit de circonstances postérieures à leur conclusion. Ces circonstances ne pouvaient a priori être prévues au moment de la conclusion du contrat et ce changement rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse.  

Une autre possibilité consiste à intégrer dans le contrat une clause de renégociation : il s’agit d’une clause que les parties ont négociée dès le départ et qui consistent à intégrer des éléments particuliers (par exemple, l’inflation) obligeant à une renégociation. Attention, être obligé de renégocier ne signifie pas être obligé de trouver un accord mais il faut renégocier de bonne foi.  

Spécificité du bail commercial 

Comme pendant la crise de Covid-19, il est recommandé au locataire d’un bail commercial de prendre attache avec son bailleur pour l’informer de ces difficultés financières et convenir à l’amiable avec lui de détails de paiement.  

Le bailleur peut refuser de négocier et vouloir être payé mais il est dans son intérêt que votre activité se maintienne.  

La clause résolutoire 

Il a alors la possibilité de faire jouer la clause résolutoire si une telle clause figure dans le bail. Cette clause donne la faculté à une partie de mettre un terme au contrat en cas de manquement à ses obligations par l’autre partie. A cet effet, il fait délivrer au locataire par huissier un commandement de payer visant la clause résolutoire. 

Le locataire dispose toujours d’un délai pour régler les loyers impayés. Ce délai est compté à partir de la date de signification de l’acte d’huissier. Passé ce délai, l’acquisition de la clause résolutoire est automatique. Le locataire risque alors de voir son bail résilié.  

Le Code de commerce a prévu à l’article L.145-41 du Code de commerce que le locataire peut obtenir la suspension de la clause résolutoire et des délais de paiement dans les formes et les conditions fixées à l’article 1343-5 du Code civil.  

En application de l’article 1343-5 du Code civil, les délais maximums de paiement peuvent être fixés à 24 mois.  

L’indexation 

Lorsqu’un bail commercial est assorti d’une clause d’indexation, la révision du loyer peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire. La variation de loyer qui découle de cette révision ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente (article 145-39 du Code de commerce).  

Il peut être utile de négocier avec votre bailleur l’application des clauses relatives au loyer et à sa révision. 

Attention : en matière de bail commercial, le contrat fait la loi des parties. La renonciation à un droit ne peut résulter que d’actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer. Si le bailleur a accepté pendant un certain temps un loyer minoré, il peut changer d’avis et demander le loyer d’origine. Le silence ne vaut pas consentement.  

Il peut également être fait appel à la renégociation de l’indexation. Il existe en effet trois indices :  

  • ICC (indice du coût de la construction) ;  
  • ILC (indices des loyers commerciaux) ; 
  • ILAT (indices des loyers des activités tertiaires).  

L’existence de ces trois indices, ICC, ILC et ILAT, offre aux cocontractants d’un bail commercial, l’alternative suivante : 

– les activités exercées dans les locaux sont des activités commerciales ou artisanales et les parties peuvent, comme par le passé, adopter soit l’ICC, soit l’ILC ; 

– les activités sont d’une autre nature que celles visées ci-dessus ou relèvent de celles d’une profession libérale, et les parties peuvent alors adopter soit l’ICC, soit l’ILAT. 

Solliciter la restitution de sommes en garantie 

Le locataire peut solliciter la restitution partielle du dépôt de garantie. En général, lors de la prise à bail d’un bien, le bailleur demande le versement d’une garantie bancaire (GAPD) et/ou d’un dépôt de garantie. 

En général, l’ensemble de ses garanties peut représenter 6 à 18 mois de loyers. 

Vous avez montré votre bonne foi pendant des années, profitez de la relation de confiance créée avec votre bailleur. Une fois rappelés les éléments qui ont permis cette confiance, vous pourrez solliciter la restitution partielle de garantie pour accroître votre trésorerie durant la période inflationniste.